Pour la troisième année, la Villa Tamaris, à La Seyne-sur-Mer, accueille le festival L’OEil en Seyne, qui expose des photographies d’artistes du monde entier. Après l’eau et l’air, thèmes des deux précédentes éditions, le festival poursuit son exploration élémentaire de la photographie avec comme fil conducteur le feu et la lumière, pour un Fiat Luxrevisité par nos créateurs contemporains. La lumière, qui imprime les images sur notre rétine comme elle frappe la pellicule de l’appareil photo, passe de moyen à fin, d’outil à sujet, et s’invite comme vedette de cette très belle exposition.
Je tiens à saluer toute l’équipe de ce nouveau rendez-vous majeur des amoureux de la photographie. Non content de promouvoir les jeunes talents en les invitant en résidence cette année, le public découvre ainsi Les Lumières de la ville, à travers l’oeil de Cyrus Cornut le festival tisse également des liens chaque année plus forts avec les enfants, grâce à un concours de photographie, et un programme pédagogique qui concilie exigence et clarté. Je souhaite à toute l’équipe un franc succès pour cette troisième édition, et au public un beau voyage à travers ces clichés lumineux.
La lumière sacrée
C’est la lumière qui fait vivre un tableau mais c’est la photo qui fait vivre la lumière souligne Claude Berri, heureux propriétaire d’une collection de photographies parmi les plus réputées au monde. Xavier Zimbardo, grand maître du troisième élément de ce Mois de la photographie consacré à Des lumières et des feux, après l’Eau et l’Air, emprunte dès l’entrée de la Villa le chemin lumineux d’une création artistique follement dévouée à la jouissance de la lumière en mouvement. Pour dessiner sur les murs la calligraphie naturelle, des luminances de l’Inde et du Sud de la France, que son oeil d’artiste touche du regard pour mieux nous émouvoir. Xavier Zimbardo est parmi les photographes contemporains celui qui conjugue éclairage et ombre avec la maîtrise d’un chorégraphe qui se joue de la lumière avec une jubilation presque enfantine. Il écrit à la manière du Caravage, qui selon le célèbre critique d’art italien, Giuseppe Ungaretti, force la lumière à concasser le réel pour bâtir ensuite à partir de ses débris lumineux, dans la joie et la frénésie des sens, une autre réalité
Dans l’abbaye de Montmajour, ses clichés, éclats éblouissants de luminosité, sont des pépites d’or incrustées dans L’esprit des lieux comme les colonnes des cloîtres visités. C’est pour mieux élever notre âme vers la sérénité des hommes de paix, rabbins et imams, qu’il les a photographiés à la bougie. L’exercice très difficile lui a permis de réaliser une série de portraits de ces hommes de foi dépouillés de tout rapprochement caricatural avec les intégristes ou les communautaristes tapis dans l’ombre de l’actualité. Seul existe le feu sacré de leurs convictions respectives, qui donne sur la pratique des religions du livre l’éclairage nouveau de la tolérance. Matisse est là qui dit que : la lumière spirituelle naît de toutes les lumières absorbées
Xavier Zimbardo manie son appareil comme un peintre son pinceau pour étaler sur la toile ou sur les murs les cratères de clarté qu’il revendique.
Les feux de la terre
A la manière des cratères plus rougeoyants qui, au premier étage, nous transportent du sommet de l’Etna, au piton de la Fournaise, jusqu’aux volcans des îles Vanuhatu.
Sur les pentes fumantes des volcans approchés de très près, nous suivons avec Philippe Bourseiller et Carsten Peter des serpents de lave uniques au monde. Comme encordés, avec nos Vulcain de l’image nous descendons en rappel avec Philippe Bourseiller la paroi du puits de l’Erta-Alé en Ethiopie ou en Tanzanie au fond de l’Ambrym sous une pluie de pierres brûlantes avec Carsten Peter. Face aux colères de la terre, la peur les tenaille parfois, mais ils n’ont jamais les gestes spontanément religieux de la population portugaise devant l’incendie qui a décimé le centre du Portugal en 2005. Sous le regard d’une vierge protectrice, comme venue directement de Fatima, les femmes sont en prière devant l’objectif de Leonel de Castro, photographe au talent de coloriste, peintre de l’instantané à la Brueghel. Dans une démarche plus plasticienne, Delphine di Pietra arrête le feu pour mieux saisir dans son viseur la texture de la lumière qu’il provoque. Elle fait de chaque incandescence la matière colorée de tableaux vivants, s’amusant à rendre visible l’invisible de la matière en fusion au point de désorienter les regards.
Lumières de la ville
La nuit venge du jour a souligné Paul Nizan. Au chapitre des lumières nocturnes Sarajevo ouvre l’accès aux lueurs de la paix revenue dans la ville-phare du conflit des Balkans. L’obscurité de la guerre a laissé place à des bars, des restaurants, des avenues scintillantes de tranquillité retrouvée. Plus qu’un clin d’oeil à la paix, c’est choisir le propre d’une lumière, qui fait que le photographe intervient par son cadrage sur le réel. Giovanni Cocco éclaire ainsi les raisons invisibles d’une démarche qui sort enfin de l’ombre, comme la capitale bosniaque du trou noir de la barbarie.
C’est aussi Gilles Coulon, qui sur les images de White Night traduit une véritable fascination pour les éclairages étonnamment universels des villes comme Bordeaux, Bamako, Le Caire, Helsinki. Gilles Coulon a voulu faire de la nuit blanche le tube fluorescent qui relie son obsession et sa fascination de photographe pour toute lumière. De Shanghai à la Seyne-sur-Mer, Cyrus Cornut, architecte de formation, met en scène les deux lueurs du couchant et du réverbère pour mieux les cadrer entre deux barres d’immeuble. Chinoises ou varoises, elles sont devenues les amers clignotants de tous les imaginaires des marins en rade de Toulon ou de Hong-Kong.
Ces photographes ont en commun d’avoir fait de ces mégalopoles, villes et villages le théâtre naturel des nuits intimes de l’oeil nu et du silence complice. Une façon d’ouvrir en chacun d’entre nous les pages de nos itinérances nocturnes à travers le monde. Comme autant de reflets de notre propre mémoire visuelle que Claude Dityvon, - Passager de l’ombre a très poétiquement mis en lumière dans un film superbe d’émotion esthétique et humaniste.
Pour nous conduire vers ces Chambres ou Paysages d’or que Bernard Faucon récrée dans la recherche de son enfance revisitée. Dans l’espace d’une mise en scène onirique des feux qui consument son obsession du temps qui passe et de ses secrets d’adolescent. Une quête de sens dans les profondeurs de son vécu dont la flamme brille toujours.
Lumières de vie, secrets d’océan
Heureusement, avant l’obscurité des abysses il y a, bien près de la surface, quelques restes de lumière qui ont survécu au filtre impitoyable de l’eau confirme Laurent Ballesta qui a exposé en Mai son travail époustouflant sur les grilles du Jardin du Luxembourg à Paris. Le troisième étage de la Villa nous invite à une plongée exceptionnelle dans les secrets des océans qu’en expert biologiste et Jules Verne de l’éclairage sous-marin, Laurent Ballesta a été chercher et créer au fond des océans jusqu’à parfois cent quarante mètres de profondeur. Vous verrez ses images comme vous l’entendrez parler de cette éternité de souvenirs qu’il a voulu porter jusqu’à la surface des mers menacées. Ce chercheur de l’université de Montpellier nous donne la sensation d’assister à chaque fois aux aurores du premier matin du monde selon ses propres termes. Face à ces sublimes images, nous devenons tous dans l’émerveillement les porteurs d’eau et de lumière de cette remontée vers des paliers d’images insoupçonnées. Une révélation permanente parce que la lumière vient du ciel mais la vie vient de l’océan, c’est ainsi. Alors s’il m’est demandé de me justifier d’une approche artistique, je répondrai que je veux exprimer ce lien, cette continuité qu’il y a entre la lumière qui tombe du ciel et cette vie qui monte vers la surface parce que l’un nourrit l’autre. La lumière du ciel qui se transforme en vie océanique comme si l’un devait disparaître pour l’essor de l’autre Laurent Ballesta le déclare comme un vrai manifeste pour que cette lumière abyssale nous aide à préserver la vie, celle qui montre le beau. Un rayon de soleil creuse un trou sur la mer. Une feuille trempée d’aube ourle le paysage comme un oeil au milieu du visage a écrit René Char. Ne restons pas plus longtemps aveugles ou cyclopes inconscients devant la beauté enfouie des lumières océaniques que nous révèle Laurent Ballesta. Au coeur cette fois d’un cratère en éruption permanente et silencieuse d’images jamais visibles à l’oeil nu.
Lumières cosmiques
De la pénombre des profondeurs de la mer jusqu’aux illusions cosmiques de Camille Solyagua, il n’y a qu’un pas à franchir. Celui vers les Etoiles qu’un grand spécialiste de l’éclairage des coulisses également secrètes des plus grands opéras du monde, Gérard Uféras est allé gravir pour nous au sommet de son art comme du majestueux escalier de la Villa Tamaris. Car selon Gérard Mortier, Directeur de l’Opéra de Paris : les images de Gérard Uféras mettent en lumière ce que les coulisses cachent au regard et permettent de dévoiler la vérité des désirs et des sentiments, les angoisses et les joies de ceux qui font vraiment naître et aboutir le spectacle Le spectacle du ballet de Paris, dans un jeu d’ombres et de lumière remarquablement capté par le photographe, nous propulse dans les hauteurs d’un émerveillement infini.
Comme un trait d’union céleste, avec le travail de Camille Solyagua, qui nous transporte dans l’univers cosmique des lumières de l’au-delà. Ses photogrammes sont les signes d’une galaxie poétique déclinée en sphères projetées dans l’espace sidéral de notre imaginaire métaphorique. Depuis Platon et Newton, nous savons, comme le souligne Paolo Garini que : la forme sphérique crée un pont entre l’espèce humaine et le cosmos au centre duquel nous sommes des observateurs de l’univers qui est à sa périphérie Camille Solyagua rejoint tous les photographes dont la passion a un dénominateur commun, cette quête de l’illumination qui donne un sens à leur vie .