Nouvelle proposition des Douches la Galerie : l’ouverture de son espace, au début de l’été, à des personnalités plurielles, dans le prolongement de sa programmation habituelle.
Pour 2011, rendez-vous avec Brigitte Ollier et Daniel Boudinet, qui se rejoignent ici pour la première fois dans l’intimité de leurs images. Pari du petit format, lumière changeantes et désir de montrer comment entre gravité et légèreté, s’assemble le monde indocile des couleurs.
Avec la complicité de Bernard Utudjian de la galerie Polaris qui a permis que les Polaroids de Daniel Boudinet viennent jusqu’aux cimaises des Douches la Galerie.
Daniel Boudinet par Brigitte Ollier
Je n’ai jamais rencontré Daniel Boudinet, mais j’ai écrit quelques lignes sur lui pour Libération, peu après sa disparition, à l’âge de 45 ans, le 12 août 1990. Marie-Claude Beaud, alors directrice de la Fondation Cartier pour l’art contemporain, était venue au journal. Nous étions dans la petite salle, près du service Culture, et j’avais religieusement noté ce qu’elle me
confiait. J’étais une bleue en photographie. Marie-Claude Beaud comprit mon désarroi, et m’enveloppa de son ardeur, comme si elle avait le don de projeter dans le temps présent des fragments du passé, ceux que j’aurais pu vivre en compagnie de Daniel Boudinet, à Bomarzo ou dans l’un de ces coins de Londres ou de Rome, auréolés d’un bleu si vert, à la limite des ténèbres. « Daniel était le roi de la couleur », avait-elle dit, ajoutant qu’il travaillait « en peintre, pas en photographe. Et toujours frontalement, il n’y avait aucune hiérarchie dans ses sujets. Il s’obstinait, comme peut l’être un artiste, à être parfait. Les limites le passionnaient, les frontières, mais il était aussi capable d’imposer à ses vues architecturales par exemple, le Panthéon une lumière presque naturelle ». Lorsque Marie-Claude Beaud partit, j’eus le sentiment d’avoir dévoré une tarte aux
pommes. Avais-je rêvé ? Pourtant, s’imposa dans ma mémoire l’idée de ce goûter gourmand qui n’eut pas lieu ; et le souvenir de Daniel Boudinet, et de son drôle d’épi sur le front, ne me quitta plus. Il a resurgi, comme par mégarde, quand nous imaginions avec Françoise Morin un(e)
photographe ou un esprit curieux pour partager l’espace de sa galerie si singulière. D’un côté, il y aurait mes photographies ; et de l’autre, qui ?
Et pourquoi pas Daniel Boudinet ? Enthousiasme immédiat : ce sera lui, a dit Françoise. Et nous voici réunis, lui, Daniel Boudinet, le Parisien de Chamonix, dont un Polaroïd ouvre La Chambre claire, le roman-photo de Roland Barthes ; et moi, dans mon nouveau monde où tout m’appartient, même le ciel bleu. Avec Daniel Boudinet, nous partageons le désir de la
couleur, au moins ça.
Brigitte Ollier par Brigitte Ollier
Ma boîte noire
« Dès mes premières photographies, j’ai eu la certitude que le monde m’appartenait. Tout, absolument tout, du bateau rouge échoué sur la plage au chat s’élançant dans l’espace, tout pouvait entrer dans la boîte noire, même s’il fallait parfois déranger l’ordre d’arrivée, les plus maigres n’étant pas forcément les plus agiles. Si je n’avais pas écrit sur la photographie, ou plutôt sur les photographes, j’aurais assez vite arrêté. Il y a toujours comme une insatisfaction avec la photographie, liée à son immobilité, à sa pesanteur, à cette théâtralité finalement inhérente au médium. Mais comme j’ai appris à lire les photographies des plus grands, de ceux qui, dépassant l’obstacle, atteignent l’éternité dans leur viseur, j’ai continué ; espérant des miracles, après tout, sans être un as du lasso, comme Manuel Alvarez Bravo, j’avais quelques atouts. Les chaises abandonnées dans les rues furent mes premiers sujets. C’était une grande liberté. Aucune permission à demander, et le silence pendant la prise de vues. Après avoir ravi mes amis qui se prêtaient de bon coeur à mes exigences de pose, j’attaquai les inconnus célèbres, croisés au cours de futurs articles à rédiger pour Libération, ou au gré des rencontres. L’un des plus stupéfaits fut Peter Galassi, alors conservateur au Museum of Modern Art (New York), portraituré à Paris, au Jeu de Paume, - et qui n’en revint pas de me voir avec mon petit Yashica. « Argentique », demanda-t-il, l’air amusé, se raclant légèrement la gorge, comme s’il prononçait le mauvais mot de passe, et que nous allions nous retrouver tous deux bloqués au dix-neuvième siècle, sans BlackBerry (et aucune possibilité de répondre aux mails). Oui, cher Peter, argentique. J’étendis progressivement mon champ d’action, et l’audace me gagna. Surtout, je pris goût à photographier. »