Le dur labeur à la Galerie d’Art du Conseil Général du département des Bouches-du-Rhône, du 13 avril au 1er juillet 2007.
Parlait-on, hier, de « valeur » travail ? Etrange expression, qui n’avait pas d’existence réelle en des temps oû le chômage n’était pas massif.
Ces temps, des photographes les ont saisis, constituant de manière dispersée les éléments d’une culture du travail.
Ronis, Friedlander, Stein et bien d’autres ont ainsi posé leurs objectifs dans les ateliers et les usines et leurs images témoignent d’un monde que les magazines sur papier glacé ont perdu de vue.
– Cette culture du travail, bousculée par les tourbillons de la mondialisation est révélatrice d’une conscience de classe que cette exposition revisite avec à propos et intelligence. Je suis particulièrement heureux que la galerie d’art du Conseil général nous entraîne sur des rives qui réveillent une certaine nostalgie, celle d’un temps oû le « dur labeur » était mêlé à la création artistique.
– Il en allait ainsi avec le roman, avec le cinéma. C’était hier, en ce siècle d’après la révolution industrielle, quand la forge n’avait pas été supplantée par le clavier et le numérique. Avec ces splendides photos, se trame un lien qu’il est vital d’entretenir, de nourrir afin que nous sachions, demain, comment notre monde se construit.
Par la sueur des hommes, l’effort et la souffrance, qui accompagnent toujours le bonheur des rêves qui nous font avancer.
Jean-Noêl Guérini
Sénateur des Bouches-du-Rhône
Président du Conseil Général
Editorial
– Le travail représente encore et toujours une valeur sociale autour de laquelle tourne la menace d’une malédiction perpétuelle, aussi bien que les promesses d’une félicité nouvelle. Combien le politique est pressé de vouloir réhabiliter le travail dans une société qui souffre d’en manquer ! Parce qu’il est depuis longtemps lié à une activité contraignante, ses valeurs ont viré au négatif, entrent dans des associations mentales oû priment la contrainte et toutes les formes de la dureté, celles de l’aliénation ou de l’exploitation.
– Il revenait à la photographie de s’intéresser au travail et à ses effets, et d’abord grâce à sa nature documentaire. Elle l’a fait depuis le début du 20e siècle, soulignant tout naturellement les exactions
épouvantables de cette époque, avant que le travail entre dans le cadre d’une législation qui en codifie un usage jusque là défavorable au travailleur. Nous avons voulu, dans cette exposition, reprendre le fil
de la description photographique du travail au moment de l’entre-deux guerres, dans un monde occidental qui luttait pour en contraindre un usage excessif (qu’on pense au Front Populaire), jusqu’à
une époque contemporaine qui, désormais, en contemple les profondes mutations, aussi bien sur le continent européen qu’américain.
– Des « petits métiers » enregistrés par Fred Stein dans le Paris des
années 30 ou le New York des années 40 et 50 ; de la glorification esthétique de l’usine par le suisse Jakob Tuggener à la même époque, en passant par le regard humaniste de Willy Ronis sur le monde
industriel de l’après-guerre ; de l’attention portée par l’américain Lee Friedlander à l’aliénation des travailleurs engagés dans les nouvelles technologies, jusqu’aux « tableaux » photographiques du français
Stéphane Couturier inspiré par les usines de montage Toyota, la photographie s’empare ici du travail comme prétexte social, mais aussi comme prétexte esthétique. Elle en est comme une mise en
spectacle, celle d’un « dur labeur » qui touche une population de plus en plus soumise aux contraintes de la mondialisation.
Gilles Mora
– Le dur labeur
photographies de Fred Stein (Allemagne), Jakob Tuggener (Suisse),
Willy Ronis (France), Lee Friedlander (USA), Stéphane Couturier
– Fred Stein : (1909-1967). Né à Dresde, très tôt engagé politiquement à gauche, il est obligé de fuir
l’Allemagne en 1933 aussitôt après son mariage, pour échapper aux persécutions des nazis contre les juifs.
Réfugié à Paris, il décide de la photographie au hasard, comme gagne-pain. Il enregistre les luttes du Front
Populaire, décrit la poésie du monde du travail artisanal. Contrant de quitter Paris en 1940, il émigre à New
York. Il y continuera son activité de photographe de rue, et deviendra un portraitiste célèbre.
– Jakob Tuggener : (1904-1988). Né à Zurich, il étudie les art visuels à Berlin, en 1930. Puis, de retour en
Suisse, consacre son activité photographique à 3 thèmes : la campagne, les bals dans les palaces suisses, et les
usines. Son livre Fabrik, publié en 1943, est exemplaire du travail visuel qu’il réalise autour des thèmes
industriels. Tuggener sera le grand inspirateur de l’autre suisse, le photographe Robert Frank.
– Willy Ronis : (né en 1910). Formé à Paris par son père aux techniques photographiques, Ronis s’engage dans
la photographie comme moyen d’expression à partir de 1934. Très influencé par les idées politiques de gauche,
son intérêt pour le monde ouvrier ne se démentira jamais. Il est le représentant le plus brillant et le plus célèbre
du mouvement poétique humaniste photographique, illustré aussi bien par Robert Doisneau qu’Edouard
Boubat.
– Lee Friedlander : (né en 1934). Il devient, très jeune, photographe pour des magazines musicaux, mais
il vise à une ambition artistique bien plus grande. Il définit, à partir des années 60, la photographie de rue, et
montre une nouvelle façon de photographier le paysage social ou naturel. Friedlander est un des rares artistes
américains à s’être intéressé au monde du travail. Il est désormais considéré comme le photographe américain
le plus important de sa génération.
– Stéphane Couturier : (né en 1957). Remarqué à partir de 1994 par ses images en couleurs sur
« l’archéologie urbaine », il réalise ses travaux entre document et oeuvre d’art, utilisant la chambre grand format.
Il aborde les thèmes paysagiers des mégapoles internationales, et consacre une série récente aux usines de
Galerie d’Art du Conseil Général du département des Bouches-du-Rhône. - 21 bis, Cours Mirabeau - 13100 - Aix-En-Provence - Tel : 04 42 93 03 67
– Commissariat d’exposition : Gilles Mora
Textes et notice catalogue : Gilles Mora